La Cour de cassation a rendu le 19 juillet 2024 d'importantes décisions concernant les règles applicables pour la prescription en matière d'action en responsabilité civile, notamment professionnelle. Que faut-il prendre en compte?

La Cour de cassation, réunie en chambre mixte, a été appelée à se prononcer le 19 juillet 2024, dans deux affaires mettant en cause un notaire, sur les règles applicables pour la mise en oeuvre de l'article 2224 du Code civil en matière de prescription (cliquer ici). Aux termes de ce texte, les actions personnelles «se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer».

Dans la première affaire, la Cour de cassation devait se prononcer sur la recevabilité d'une action en responsabilité engagée par des particuliers à l'encontre d'un notaire pour manquement à son devoir de conseil dans le cadre d'une donation, par suite d'un redressement fiscal validé par le juge administratif (affaire n°20-23527)

Dans la seconde affaire, la Cour de cassation devait se prononcer sur la recevabilité d'une action dite récursoire (en garantie) engagée à l'encontre d'un avocat par un notaire, condamné par le juge civil à réparer le préjudice subi par un conjoint survivant pour manquement à son devoir de conseil dans le cadre d'un partage successoral (affaire n°22-18729)

Précisément, la Cour de cassation s'est penchée sur la question suivante (cliquer ici et cliquer ici): quel est le point de départ du délai de prescription d’une action en responsabilité civile, lorsque cette action vise à réparer un dommage (un préjudice) dont l’existence même est débattue dans le cadre d’un autre litige ou d'une autre procédure?

Dans le cadre de ses deux arrêts, rédigés suivant une motivation très détaillée et assortis d'un communiqué officiel, la Cour de cassation a d'abord souligné, au vu de l'article 2224 du Code Civil, que le «délai de prescription de l'action en responsabilité civile court à compter du jour où celui qui se prétend victime a connu ou aurait dû connaître le dommage, le fait générateur de responsabilité et son auteur ainsi que le lien de causalité entre le dommage et le fait générateur».

Puis la Cour de cassation a posé les deux règles suivantes concernant le point de départ de la prescription, en distinguant selon qu'une action en responsabilité civile est engagée à titre principal ou à titre récursoire.

Pour la Cour de cassation, les actions principales en responsabilité «tendent à l'indemnisation du préjudice subi par le demandeur, né de la reconnaissance d'un droit contesté au profit d'un tiers. Seule la décision juridictionnelle devenue irrévocable établissant ce droit met l'intéressé en mesure d'exercer l'action en réparation du préjudice qui en résulte. Il s'en déduit que cette décision constitue le point de départ de la prescription».

Dans la première affaire, la Cour de cassation a ainsi censuré, en l'espèce, un arrêt de Cour d'appel qui avait jugé que l'action en responsabilité était prescrite, au motif que le délai de prescription avait couru à compter de la notification du redressement fiscal.

La Cour de cassation juge que le point de départ de la prescription est différent pour les actions dites récursoires, qui tendent à obtenir la garantie d'une condamnation prononcée ou susceptible de l'être en faveur d'un tiers victime. Pour la Cour de cassation, de «telles actions sont fondées sur un préjudice unique causé à ce tiers par une pluralité de faits générateurs susceptibles d'être imputés à différents coresponsables. Or, une personne assignée en responsabilité civile a connaissance, dès l'assignation, des faits lui permettant d'agir contre celui qu'elle estime responsable en tout ou partie de ce même dommage, sauf si elle établit qu'elle n'était pas, à cette date, en mesure d'identifier ce responsable».

Dans la seconde affaire, la Cour de cassation a ainsi jugé en l'espèce que la prescription de l'action récursoire, engagée par le notaire contre l'avocat, avait commencé à courir au jour où le conjoint survivant l'avait assigné en responsabilité civile.

Pour la Cour de cassation, ces deux solutions «assurent un juste équilibre entre les intérêts respectifs des parties et contribuent à une bonne administration de la justice, en limitant, pour la première, des procédures prématurées ou injustifiées et en favorisant, pour la seconde, la possibilité d'un traitement procédural dans une même instance du contentieux engagé par la victime» (C. cass. ch. mixte. 19-7-2024 arrêts n°22-18729 et 20-23527 points 15 et 17).

Ainsi, comme le souligne le communiqué publié par la Cour de cassation, le «point de départ du délai de prescription d’une action en responsabilité consécutive à un autre litige varie selon qu’il s’agit de réparer un préjudice dont l’existence est en lien avec une première action en justice ou, qu’au contraire, c’est le même dommage qu’il s’agit de réparer dans les deux procédures».

Les règles ainsi posées ont vocation à s'appliquer pour tout litige mettant en cause un professionnel, notamment lorsqu'il est susceptible d’être condamné à indemniser un préjudice dont il n’est pas le seul responsable.

Comme le souligne le communiqué de la Cour de cassation, pour le cas où une personne est susceptible d’être condamnée à indemniser un préjudice dont elle n’est pas la seule responsable, il convient de prendre en compte la règle suivante. Pour agir contre les autres responsables de ce préjudice, cette personne dispose en principe d’un délai «qui commence à courir à compter du jour auquel une action en justice est engagée contre elle». Toutefois, par exception, ce délai «ne commence pas à courir si cette personne rapporte la preuve qu’elle n’était pas en mesure de savoir qui étaient les autres responsables».

Un professionnel, lorsqu'il est susceptible d’être condamné en justice à indemniser un préjudice dont il n’est pas le seul responsable, doit veiller à prendre en compte la règle posée par la Cour de cassation pour exercer en temps utile des actions récursoires.

Pour consulter:

  • le communiqué de la Cour de cassation du 19 juillet 2024: cliquer ici ou cliquer ici (format pdf)
  • l'arrêt n°22-18729: cliquer ici - ressources associées (rapport du conseiller et avis de l'Avocat général): cliquer ici
  • l'arrêt n°20-23527: cliquer ici - ressources associées (rapport du conseiller et avis de l'Avocat général): cliquer ici

Références

  • Site internet de la Cour de cassation
  • Cour de cassation chambre mixte 19 juillet 2024 n°22-18729
  • Cour de cassation chambre mixte 19 juillet 2024 n°20-23527

Tenez-compte des règles posées pour le point de départ du délai de prescription quinquennale d’une action en responsabilité civile professionnelle, qui varie selon la nature de l'action. Un professionnel, lorsqu'il est susceptible d’être condamné à indemniser un préjudice dont il n’est pas le seul responsable, doit veiller à exercer en temps utile une action récursoire qui s'impose.

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